mercredi 31 décembre 2014

L'énigme des origines de Jean Genet

Au cœur de mes recherches sur la famille de Jean Genet, il y a ce cri de désespoir de sa mère Camille quelque mois après sa naissance :
"Je suis seule, absolument seule" (lettre du 28 mars 1911)
que je mets en regard de la situation de son frère Gabriel, de sa demi-sœur Marie Françoise et de son demi-frère Philibert. En effet, objectivement, rien ne permet de penser qu'ils n'étaient pas en mesure de l'aider.

C'est ce que j'appelle l'énigme des origines de Jean Genet car l'absence de famille autour de Camille Genet n'est probablement pas étrangère à l'abandon quelques mois plus tard de Jean Genet et, en l'état de mes connaissances, rien n'explique cette rupture apparente entre Camille Genet et le reste de sa famille.

J'ai longtemps penser qu'il y avait eu une brouille entre les enfants du premier lit (Philibert et Marie Françoise) et ceux du deuxième (Gabriel et Camille). C'est un fait souvent courant dans ces familles recomposées du XIXe siècle où les enfant de la première épouse pensent que, comme le disait Sébastien Commissaire : « mes frères et sœurs issus du premier mariage de mon père me considéraient comme un intrus qui était venu partager leur pain et leur maigre pitance. » Cet antagonisme aurait pu être renforcé par les déboires financiers que leur père commun, François, avait connus avec sa seconde épouse (je ne dit pas à cause d'elle).

Cet acte de décès est, en soi, la preuve la plus tangible que ce n'est pas la raison :
État civil de Lyon, décès 7e arrondissement 1939

On y voit en effet Maurice Genet, le fils de Gabriel,être présent à Lyon pour accompagner sa tante Marie Françoise, veuve Maurice Martin, alias Martin Van Maele, dans la mort, puisqu'il était présent au moment de son décès à 6 heures du matin ce 23 juillet 1939. C'est lui qui, quelques heures plus tard, se rendra à la mairie pour déclarer le décès et signer l'acte. Avec sa sœur Germaine, ils seront ses héritiers.C'est la preuve d'une attention et d'une proximité entre les deux branches de la famille. Proximité dont Jean Genet, le cousin germain de Maurice Genet, n'a pas bénéficié. A cette même date, il mène une vie de vagabond entre petits larcins et séjours en prison.

Je me suis interrogé aussi sur un rejet de Camille par sa famille à partir du moment où elle s'est retrouvée enceinte du futur Jean Genet, à 21 ans, vers le mois de mars 1910 (elle est née en juillet 1888). Je ne le pense pas pour plusieurs raisons. La première est que cela serait apparu lors de ses demandes de secours, soit dans les lettres qu'elle a envoyées, soit dans les résultats des enquêtes qui ont été menées par l'Assistance publique. Dans ce dossier, il n'est jamais fait mention de famille. La deuxième raison est que je ne perçois pas la famille Genet comme particulièrement rigoureuse sur le respect de la morale familiale. Rappelons que Philibert Genet a eu son premier enfant hors mariage, en 1883, d'une femme qui avait elle-même accouché d'un enfant de père inconnu à l'âge de 20 ans. Marie Françoise Martin a épousé Martin Van Maele dont l’œuvre ne démontre pas un sens très strict de la morale. Ils s'étaient fait passer pour mari et femme avant même d'être mariés. Quant à Gabriel, si sa vie semble plus dans la « norme morale », il appartenait à un univers fortement déchristianisé. En effet, et ce sont des recherches que je n'ai pas encore publiées, il ne semble pas s'être marié à l'Église, ni avoir fait baptiser ses enfants. Pour sa femme Gabrielle Durozé, on ne sait pas précisément si elle avait été baptisée, mais ce que je sais c'est que sa sœur Jeanne Durozé n'a été baptisée que quelques mois avant son mariage en 1897, pour qu'elle puisse justement convoler à l’Église, probablement à la demande de sa belle-famille Gayet (pour l'anecdote, lors de ce baptême tardif, c'est son futur mari qui est son parrain).On peut me rétorquer que tout cela n'est pas une preuve, car on a déjà vu des personnes d'une morale assez souple se montrer beaucoup plus rigoureuses lorsque elles sont mises devant une situation comme celle de Camille. D'autant que le temps passant, Philibert Genet s'embourgeoisant, il pouvait faire preuve, au moins en apparence, d'une morale plus stricte.

En réalité, je pense que la rupture est plus ancienne. Je n'en suis qu'au stade des hypothèses, voire des intuitions, mais je pense que la rupture a eu lieu entre Clotilde Genet, la belle-mère et mère, et le reste de la famille dans la deuxième partie des années 1890. Il est frappant de voir qu'en 1898, Clotilde Genet vit dans une misérable pièce unique de la rue Rousselet (voir le message précédent) avec ses deux dernières filles, alors que le fils aîné est en pleine association sociale à Lyon (il vient de s'y installer en janvier 1898), que Marie Françoise Genet et son mari Maurice Martin vivent encore rue Jacob, dans un appartement dont le loyer annuel est de 600 francs, soit 4 à 6 fois plus que celui que doit payer Clotilde Genet. Au même moment, Clotilde Genet doit se dessaisir des deux dernières parcelles de son héritage à Virieu-le-Grand pour 100 francs !

A partir de cette rupture, Clotilde Genet et sa fille ont probablement mené une vie de misère et, si l'on en croit l'information qu'en donne le dossier de Jean Genet, une vie hors de Paris (en effet, Camille Genet ne semble être revenue à Paris que dans le courant de l'année 1910). Rappelons aussi que Camille Genet, enfant née tardivement, n'a qu'à peine connu ses frères et sœurs, surtout ceux du premier mariage.

Il reste un mystère à lever. Probablement que l'on n'aura jamais tous les éléments, enfouis dans le secret des familles, mais rien que le lieu et la date du décès de Clotilde Genet seraient déjà une information qui pourrait me mettre sur la piste. Pour le moment, ces informations ont résisté à toutes mes recherches.

mercredi 24 décembre 2014

Rue Rousselet, Paris, 7e

Aujourd'hui, j'entame une série sur les domiciles parisiens de la famille Genet. Je commence par le dernier domicile connu de Clotilde Genet, 1, rue Rousselet, Parie 7e.

La rue Rousselet, depuis la rue Oudinot, en direction de la rue de Sèvres

J'ai trouvé deux mentions de ce domicile, toutes deux en 1898. La première, le 2 août 1898. Ce jour là, elle passe un accord avec Philibert Pantin, de Virieu-le-Grand pour lui vendre les 2 dernières parcelles qu'elle possède dans sa commune natale, dernier reste de l'héritage de ses parents1. Plus dramatiquement, le 23 octobre 1898, c'est sa fille Léontine, 21 ans, domestique, qui meurt à cette adresse. Après cette date, on perd la trace de Clotilde Genet et de sa fille Camille, jusqu'à ce qu'on retrouve celle-ci en 1910 à la naissance de son fils Jean.

Le précédent domicile de Clotilde Genet se trouvait au 1, rue Mayet, dans le même arrondissement. C'est là qu'elle vivait avec son fils Gabriel, lorsqu'il se marie le 18 avril 1896.

La rue Rousselet est une petite rue entre la rue de Sèvres et la rue Oudinot. Sur une grand partie de sa longueur, elle longe le grand jardin de clinique Saint Jean de Dieu.

L'immeuble n'existe plus. Composé de 2 bâtiments, il faisait l'angle avec la rue Oudinot. Le bâtiment sur la rue Oudinot comportait 3 étages, surmonté d'un grenier.Le bâtiment  sur la rue Rousselet avait un premier étage, surmonté d'un 2e étage dans les combles (étage lambrissé). Ce modeste bâtiment n'était qu'un ensemble de pièces uniques, appelé soit « pièce à feu », « petite pièce à feu », voire « cabinet à feu ». Au total, on en compte 11 dont le loyer va de 80 francs à 160 francs annuels.C'est probablement dans l'une d'elle que vit Clotilde Genet avec ses deux filles Léontine et Camille. Dans son entourage, on trouve entre autres une boutique de marchand de vin, à l'angle avec la rue Oudinot et une marchande de charbon au détail, marquée comme indigente, sur la rue Rousselet2.

Juste en face, de l'autre côté de la rue Oudinot, au rez-de-chaussée du n° 12, vit François Coppée, le poète et romancier, avec sa sœur Anne. 


Il a évoqué la rue Rousselet dans un conte, qui restitue bien l'atmosphère de ce quartier alors populaire.
La robe blanche

Quand je vins habiter le coin perdu du faubourg Saint-Germain, où je vis depuis une dizaine d’années, je me pris d’affection pour la très calme et presque champêtre rue Rousselet, qui s’ouvre juste devant la porte de ma maison. Au XVIIe siècle, elle s’appelait l’Impasse des Vaches et elle n’était sans doute alors qu’un chemin à fondrières ; mais quelques seigneurs avaient déjà construit de ce côté leur « maison des champs », et c’est là qu’est morte Mme de la Sablière, l’excellente amie de La Fontaine, dans son logis, « près des Incurables ». Un hôtel du siècle dernier, situé au coin de la rue Oudinot, est devenu l’hôpital des Frères Saint-Jean-de-Dieu, et les arbres de leur beau jardin dépassent le vieux mur effrité qui occupe presque tout le côté droit de la rue Rousselet. De l’autre côté s’étend une rangée d’assez pauvres maisons, où logent des artisans et des petits employés, et qui toutes jouissent de la vue du jardin des Frères. La rue Rousselet est très mal pavée, le luxe du trottoir n’y apparaît que par tronçons ; l’une des dernières, elle a vu disparaître l’antique réverbère à potence et à poulie. Peu de boutiques, et des plus humbles : l’échoppe du cordonnier en vieux, le trou noir de 1’Auvergnat marchand de charbon, le cabaret d’angle avec l’enseigne classique : Au bon coing, et de tristes épiceries où vieillissent dans un bocal des sucres d’orge fondus par vingt étés et gelés par vingt hivers, à côté d’images d’Épinal, – une page de hussards dans leur uniforme de 1840, ou le portrait authentique et violemment peinturluré du Juif Errant, encadré des couplets de la célèbre complainte. – Des linges sèchent aux fenêtres, des poules picorent dans le ruisseau. On se croirait là dans un faubourg de province très reculée, un de ces faubourgs qui s’en vont vers la campagne et où la ville redevient village.

Comme il passe à peine une voiture par quart d’heure dans la rue Rousselet, on y laisse jouer les enfants, qui sont nombreux dans les quartiers populaires ; car les pauvres gens sont prolifiques et ignorent les doctrines de Malthus. Ils n’ont point le souci de doter le « gosse » ou la fillette, qui entreront en apprentissage à douze ans et gagneront leur vie à seize, et dans aucun ménage d’ouvriers on n’a jamais entendu dire, comme dans Gabrielle :

… Si tout va de la belle façon,
Nous pourrons nous donner le luxe d’un garçon.

Aussi, dans le renfoncement du vieux mur, sous la charrette abandonnée, il y a de fameuses parties de billes, allez ! C’est effrayant ce qu’on y use de fonds de culottes ! et, à quatre heures, à la sortie de l’école des Frères de la rue Vanneau, la rue grouille de moutards. J’ai fini par les connaître, à force de passer là, par m’intéresser à eux, par leur sourire. Pour eux non plus je ne suis pas un inconnu, et souvent il me faut interrompre ma rêverie et répondre à un « Bonjour, m’sieu » que me lance une gamine en bonnet rond ou un jeune drôle en pantalon trop large. À la Fête-Dieu, quand ils établissent des petites chapelles devant les portes, avec une serviette blanche, une bonne Vierge en plâtre, trois roses dans un verre et deux petits chandeliers en plomb, ils me poursuivent en secouant une soucoupe où ma pièce de deux sous sonne joyeusement. Enfin ils me traitent en voisin, en ami, moi, le passant absorbé et inoffensif. Par les jours de septembre où il fait du vent, les galopins écartent devant moi la ficelle de leur cerf-volant, et, les soirs d’été, la petite fille qui saute en demandant « du vinaigre » s’arrête pour me laisser enjamber la corde.

C’est ainsi que j’ai remarqué la petite boiteuse. – Il y a bien longtemps de cela, je venais de m’installer dans le quartier et elle pouvait avoir alors huit ou dix ans. – Ce n’était pas elle, hélas ! qui aurait pu demander « du vinaigre ». En grand deuil, – son père, un compagnon charpentier, venait de mourir, – elle s’asseyait sur une borne, sa petite béquille dans sa jupe, et elle regardait jouer les autres. Elle m’attendrissait, avec son air triste et sage, ses grands yeux bleus dans sa figure pâlotte, et ses bandeaux châtains sous son béguin noir. À la longue, elle avait vaguement deviné ma pitié dans mon regard ; elle y répondait par un sourire mélancolique. Je lui disais au passage : « Bonjour, mignonne ! »

Du temps s’écoula, – deux ou trois ans passent si vite ! – et, un jeudi matin du mois de mai, où le jardin des Frères Saint-Jean-de-Dieu embaumait la verdure nouvelle et où des fils de la Vierge flottaient dans l’air, je m’aperçus, en sortant de chez moi, vers onze heures, que la rue Rousselet avait un aspect de fête inaccoutumé. Parbleu ! c’était le jour de la première communion des enfants. L’ouvrier, qui mangeait tous les soirs du jésuite en lisant son journal, avait eu beau déclamer... « On n’est pas des païens », avait déclaré la maman, et les enfants étaient tout de même allés au catéchisme. Et puis, la première communion des gamins, c’est une occasion de « caler l’atelier », de faire une petite noce ; et le savetier radical, qui fumait sa pipe sur le seuil de sa boutique, pouvait bien hausser les épaules et murmurer entre ses dents : « Ah ! malheur ! » la rue n’en avait pas moins son air des dimanches. Eh ! là-bas, la petite blanchisseuse, qui courez en portant sur vos deux mains une chemise d’homme empesée comme une cuirasse, dépêchez-vous ! La pratique a fini de se raser devant le miroir attaché à l’espagnolette de la croisée, et l’on s’impatiente. Il y a de la presse aussi chez le pâtissier de la rue de Sèvres : dès hier soir, on commandait des godiveaux, et la fruitière du n° 9 est en train de faire une scène, parce qu’on a oublié son nougat. Chez le perruquier, par exemple, – la boutique peinte en bleu, où le plat à barbe en cuivre frissonne au vent printanier, – ça empeste encore le cheveu brûlé, mais l’ouvrage est fini depuis longtemps ; toute la marmaille était frisée dès sept heures du matin. Maintenant, c’est une affaire bâclée, on revient de l’église, et le monde se met aux fenêtres pour voir passer les communiants.

Superbes, les garçons, avec la veste neuve et le brassard de satin à franges d’or, excepté Victor pourtant, le fils de l’ébéniste, qui vient d’attraper une paire de calottes. (Aussi quelle idée de laisser tomber sa tartine de raisiné sur son pantalon ! Cet animal-là n’en fait jamais d’autres ; ça lui apprendra.) Mais ce sont les petites en blanc qui sont jolies ! Les blondes surtout ! Le voile de mousseline leur sied à ravir. Elles le savent bien, les coquines, et elles baissent les yeux pour se donner une mine plus virginale, et aussi pour regarder leurs gants de filoselle, les premiers qu’elles aient mis de leur vie. Pour les brunes, elles ont un peu l’air de mouches tombées dans du lait ; mais qu’importe, leurs mamans ne sont pas les moins fières. Oh ! les pauvres mamans ! elles se sont faites belles pour la circonstance, et elles ont arboré des toilettes qui révèlent des poèmes de misère et d’économie. Voilà une pèlerine de velours qui doit dater de l’Exposition de 1867, et voilà un cachemire français qui connaît certainement le chemin du Mont-de-Piété. Bah ! les fillettes qui les accompagnent sont quand même habillées tout battant neuf ; et, lorsque la pèlerine dit au cachemire : « Elle est joliment forcie, votre demoiselle », le cachemire répond d’un air satisfait : « Que voulez-vous ? A va sur ses treize ans. » Et la pèlerine conclut : « Comme ça nous pousse ! » Enfin, c’est un beau jour pour tout le monde, et les pères – ces hommes ! ça ne croit à rien ! – peuvent « blaguer » la cérémonie chez le marchand de vins, il n’est pas moins vrai que tout à l’heure, à la paroisse, quand l’orgue jouait en sourdine et quand les enfants ont marché vers l’autel, en file indienne, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, le cierge allumé à la main, toutes les mamans ont pleuré.

J’avais bien vite reconnu ma petite boiteuse dans le nuage blanc des communiantes. Était-ce à cause de sa béquille noire sur laquelle elle s’appuyait pour sautiller, ou à cause de la robe de veuve de sa pauvre vieille mère qui la tenait par la main ? Mais elle me sembla plus immaculée, plus pure, plus blanche que les autres. Elle me parut aussi plus émue, plus recueillie que ses compagnes ; son visage enfantin avait une expression naïve et mystique qui eût tenté le pinceau d’Holbein.

Ce jour-là, j’accentuai pour elle mon bonjour amical, et j’étais tout heureux, en m’éloignant, de penser qu’elle aussi avait eu sa robe blanche. Une robe blanche ! l’idéal de la parure pour les filles du peuple !

Depuis lors, plusieurs printemps ont fleuri et, par de belles matinées du mois de mai, plusieurs fois le vent parfumé a fait flotter les voiles blancs des communiantes dans la rue Rousselet. Des années ont passé, des années avec leur printemps, mais avec leurs hivers aussi ; des choses ont changé, des gens ont vieilli dans ce paisible quartier. D’autres enfants jouent encore aux billes sous la vieille charrette, mais le perruquier a fermé boutique ; le savetier radical fume toujours sa pipe sur le seuil de son échoppe, mais sa barbe a grisonné ; enfin on a lu, un jour, un billet bordé de noir, collé avec quatre pains à cacheter sur les volets fermés de la fruitière du n° 9, et maintenant c’est une blanchisseuse qui s’est établie là, pour faire concurrence à l’ancienne, qui demeure en face. Mais cela ne réussira pas, car la mère Vernier, la femme de ménage, – une langue d’enfer dont je vous conseille de vous méfier –, prétend que la nouvelle patronne est une sans-soin qui lui a perdu une camisole, et que ses ouvrières sont des rien-du-tout, qui batifolent avec le sergent de ville, – vous savez, le grand blond médaillé, celui qui a une si belle moustache tombante de buveur d’eau-de-vie. – Malgré tout, la rue Rousselet a conservé à peu près sa physionomie d’autrefois, et le mur des Frères Saint-Jean est plus dégradé que jamais par les saxifrages.

Mais la petite boiteuse ?

Hélas ! elle a très peu grandi, bien qu’elle soit une jeune fille à présent, et qu’en comptant sur mes doigts je découvre qu’elle aura bientôt vingt ans. Quand je la rencontre, sautillant plus lourdement sur sa béquille, – une béquille neuve, un peu plus haute que l’ancienne, – je n’ose plus dire : « Bonjour, mignonne ! » et je me contente de lui tirer mon chapeau. D’ailleurs, elle sort rarement. Sa mère est maintenant concierge dans la maison du brocheur, et la fenêtre de la loge, qui donne sur la rue, est placée trop haut pour que je puisse y jeter un regard en passant ; mais la présence de ma petite amie se trahit par le bruit incessant de sa machine à coudre. Elle travaille pour la confection, et il paraît qu’elle gagne d’assez bonnes journées. On m’a assuré qu’elle est bien plus infirme que je ne croyais et qu’elle a une jambe toute séchée. Elle ne se mariera pas. Quel dommage !

Cependant, presque toutes ses camarades de première communion ont déjà mis leur seconde robe blanche, celle du mariage. L’autre samedi encore, l’épicière a marié sa fille à son premier garçon. (Je me doutais bien que ça finirait par là ; les dimanches soirs, quand la mère prenait le frais sur le pas de sa porte et quand les jeunes gens jouaient à la raquette, ils envoyaient toujours le volant dans l’allée du n° 23, qui est noire comme un four, et ils disparaissaient ensemble, censément pour le ramasser. Comme c’est malin !) Oh ! l’épicière a bien fait les choses ; on est allé autour du lac en grande remise et l’on a dîné à la Porte-Maillot. Eh bien ! au moment où la mariée est montée en voiture, avec sa traîne de soie blanche et sa fleur d’oranger dans les cheveux, – elle a l’air insolent, cette grande rousse ! – j’ai aperçu ma pauvre petite boiteuse, qui se tenait à quelque pas de là, appuyée sur sa béquille, et qui regardait d’un œil d’envie.

Hélas ! il n’y aura bientôt plus qu’elle, de toutes les filles de son âge, dans la rue Rousselet, qui n’aura mis de robe blanche qu’une fois dans sa vie !
J'ai trouvé ce conte dans le tome I des Œuvres complètes de François Coppée [...]. Prose Tome I, Paris, L. Hébert, 1885, pp. 269-280 (cliquez-ici). Je ne sais pas quand il a été publié pour la première fois. Il sera repris dans Contes tout simples, paru en volume séparé pour la première fois en 1894. Je n'ai pas transcrit les deux premiers paragraphes, qui ne sont que des généralités pour introduire le conte.

L'époque de ce conte doit se situer au début des années 1880. Bien qu'un peu antérieur à l'époque où Clotilde Genet y vivait, ce texte rend merveilleusement bien l'esprit de ce Paris populaire qui était en train de disparaître. François Coppée le regrettait lui-même dans un texte daté de 1901 :
AU CIMETIÈRE
JOUR DES MORTS DE 1901

Pour le vieux Parisien, qui a le chagrin sans cesse renouvelé de voir sa ville natale se transformer, ce qui change le moins rapidement, c'est encore les cimetières.

Dans la rue que j'habite depuis trente ans, trois maisons de rapport à la dernière mode, avec ascenseur, électricité et tout le confort moderne, occupent aujourd'hui la place du vieil hôtel à demi ruiné et du long mur au-dessus duquel débordaient les arbres du jardin; et, par les chaudes soirées de juin, je ne respire plus, en rentrant au logis, le capiteux parfum des fleurs d'acacia.
Œuvres complètes de François Coppée [...]. Prose Tome IX, Paris, Houssiaux, 1904, p. 332 (cliquez-ici).

L'immeuble habité par Clotilde Genet sera lui-même remplacé en 1905 par une «  maisons de rapport à la dernière mode » qui existe toujours :
Le 17 rue Oudinot (à gauche) et le 1 rue Rousselet (à droite), vue actuelle.

Je n'ai pas trouvé de photos anciennes de la rue Rousselet. J'ai donc choisi d'illustrer par une vue de la rue Oudinot et par deux vues de la rue de Sèvres, dans la section qui correspond plus ou moins au point où la rejoint la rue Rousselet.
 Rue Oudinot, Paris, 7e

 Rue de Sèvres, à la hauteur de la chapelle Saint-Vincent de Paul (n° 95)

 Rue de Sèvres, à la hauteur de la chapelle Saint-Vincent de Paul (n° 95)

Notes

1 Bureau de Virieu-le-Grand, Actes sous Seing Privé (AD) : deux actes enregistrés le 19 octobre 1898 sous les numéros 184 et 185, de la Veuve François Genet, 1, rue Rousselet, Paris à Philibert Pantin, propriétaire, Virieu-le-Grand.

2 Calepin Rue Oudinot, 1876, n° 15 et 17 (Archives de Paris D1P4/831), reproduits ci-dessous, pour ceux qui voudraient découvrir ces documents :



vendredi 5 décembre 2014

Martin Van Maele

Au détour de mes recherches sur l’histoire familiale de Jean Genet, j’ai croisé Martin Van Maele. Parmi les surprises qui résultent de mes trouvailles, la parenté de Jean Genet avec Martin Van Maele n’est pas l’une des moindres. A l’été 2013, peu après avoir découvert le décès de François Genet, le grand-père de Jean Genet, et recherchant systématiquement les actes d’état civil de la famille Genet à Paris, je découvre que l’une de ses filles, Marie Françoise, une tante de Jean Genet, a épousé le 19 février 1889, à la mairie du 16e arrondissement de Paris, un certain Maurice Alfred François Martin, artiste peintre. Ce nom et ces prénoms ne m’évoquaient évidemment personne en particulier. En revanche, j’ai pris l’habitude de faire une recherche rapide sur Internet de toutes les personnes que je trouve. Et c’est là que je découvre, par la magie d’Internet, que derrière ce nom et ces prénoms si communs se cachent pas moins que Martin Van Maele. Je ne le connaissais qu’imparfaitement, même si le nom ne m’était pas inconnu. À partir de ce moment, je suis parti à la découverte de cet illustrateur, car il était si proche des grands-parents, puis de la mère de Jean Genet. Mon objectif n’est clairement pas d’étudier son œuvre d’illustrateur érotique. D’autres le feront mieux que moi. En revanche, tout ce qui peut éclairer sa propre histoire familiale et l’histoire de la famille Genet a été exploré. C’est le résultat de ces recherches que je viens de publier sur ce site. La plus grande partie en est inédite.

Il n'existe malheureusement aucune photographie ou portrait de Martin Van Maele.
A défaut, sa belle signature sur un acte d'état civil de 1896.

Pour ceux qui ne connaissent pas Martin Van Maele, la notice wikipedia, très incomplète, donne néanmoins une vue superficielle de son œuvre d'illustrateur érotique : cliquez-ici.

Pour accéder à l'article que je lui ai consacré : cliquez-ici pour une version PDF ou cliquez-ici pour le lire sur ce site.

J'ai aussi publié sa généalogie : cliquez-ici.

dimanche 2 novembre 2014

Publication

Je viens de publier le résultat de mes recherches sur la famille maternelle de Jean Genet. Il y a d'abord la mise en ligne de la généalogie de la mère de Jean Genet, Camille Genet : http://gw.geneanet.org/jeangenet.

Il y a surtout le résultat de mes recherches que j'ai présenté dans un article illustré que l'on peut télécharger à cette adresse : cliquez-ici. Il est aussi consultable sur ce blog, dans les pages ci-dessus.

Comme toutes recherches d'histoire familiale, celle-ci a été riche en découverte. Il y a d'abord le grand-père, François Genet, né en 1831 à Cuzieu dans l'Ain dans une modeste famille de paysans, qui tente une ascension sociale d'abord en ouvrant une épicerie à Virieu-le-Grand, puis en se lançant dans une activité de fabricant de chaux. Le tout se termine par une faillite en 1878 qui oblige la famille, totalement ruinée, à trouver refuge à Lyon, là justement où est née Camille Genet, la mère de Jean Genet. Cela a été l'occasion de découvrir un document qui est le texte écrit le plus long connu d'un ancêtre de Jean Genet.  Jusqu'ici, on ne connaissait que la signature de François Genet (pour plus de détails, voir l'article p. 19).


L'autre découverte, plus surprenante, est la parenté entre Jean Genet et Martin Van Maele, l'un des plus célèbres illustrateurs érotiques du premier tiers du XXe siècle. En effet, Maurice Martin, alias Martin Van Maele, a épousé en février 1889 Marie Françoise Genet, la demi-sœur de Camille Genet. Je me suis ainsi intéressé à cet illustrateur que je connaissais mal. Je n'ai rien découvert de nouveau sur son travail d'illustrateur (ce n'était d'ailleurs pas mon objectif), mais de nombreux éléments sur sa biographie personnelle. C'est ainsi que j'ai identifié la maison qu'il a habité à Varennes-Jarcy, dans l'Essonne depuis juillet 1904 jusqu'à son décès en 1926 :


Enfin, j'ai trouvé la seule photo connue d'un membre de la famille de Jean Genet. Il s'agit de Joseph Laperrière (1846-1927), un cousin germain, de François Genet, le grand-père. Installé à Lyon au milieu du XIXe siècle, il a fondé une roseraie, qui existe toujours en région lyonnaise, sous le nom de Laperrière.


Pour finir, l'acte de décès de François Genet, à Paris 8e le 7 juillet 1892. C'est cet acte qui m'a ouvert la porte de cette histoire familiale.


jeudi 30 octobre 2014

Généalogie de Jean Genet

J'ai publié aujourd'hui la généalogie complète de Jean Genet (plus de 1 400 personnes) sur le site Geneanet.
Vous pouvez y accéder à cette adresse : http://gw.geneanet.org/jeangenet_w?lang=fr

Une des découvertes les plus surprenante est la parenté de Jean Genet avec un des plus célèbres illustrateurs d’œuvres érotiques du début du XXe siècle, Martin Van Maele. Je publie aussi une généalogie, plus sommaire, de celui-ci.
Parmi mes découvertes, j'ai identifié la maison de Maurice Martin, dit Martin Van Maele, et de son épouse Marie Genet, la tante de Jean Genet, à Varennes-Jarcy (Essonne)


jeudi 28 août 2014

Annonce

Pour le moment, ce blog annonce beaucoup mais donne peu. Dans quelques temps, je mettrai en ligne le résultat de mes recherches.
Je vous demande juste d'être encore un peu patient.
En attendant, je vous propose de lire, en guise d'introduction, la page "Présentation" ci-dessus ou de cliquer sur le lien de l'article, à gauche.

L'épicerie de François Genet, le grand-père de Jean Genet