mercredi 31 décembre 2014

L'énigme des origines de Jean Genet

Au cœur de mes recherches sur la famille de Jean Genet, il y a ce cri de désespoir de sa mère Camille quelque mois après sa naissance :
"Je suis seule, absolument seule" (lettre du 28 mars 1911)
que je mets en regard de la situation de son frère Gabriel, de sa demi-sœur Marie Françoise et de son demi-frère Philibert. En effet, objectivement, rien ne permet de penser qu'ils n'étaient pas en mesure de l'aider.

C'est ce que j'appelle l'énigme des origines de Jean Genet car l'absence de famille autour de Camille Genet n'est probablement pas étrangère à l'abandon quelques mois plus tard de Jean Genet et, en l'état de mes connaissances, rien n'explique cette rupture apparente entre Camille Genet et le reste de sa famille.

J'ai longtemps penser qu'il y avait eu une brouille entre les enfants du premier lit (Philibert et Marie Françoise) et ceux du deuxième (Gabriel et Camille). C'est un fait souvent courant dans ces familles recomposées du XIXe siècle où les enfant de la première épouse pensent que, comme le disait Sébastien Commissaire : « mes frères et sœurs issus du premier mariage de mon père me considéraient comme un intrus qui était venu partager leur pain et leur maigre pitance. » Cet antagonisme aurait pu être renforcé par les déboires financiers que leur père commun, François, avait connus avec sa seconde épouse (je ne dit pas à cause d'elle).

Cet acte de décès est, en soi, la preuve la plus tangible que ce n'est pas la raison :
État civil de Lyon, décès 7e arrondissement 1939

On y voit en effet Maurice Genet, le fils de Gabriel,être présent à Lyon pour accompagner sa tante Marie Françoise, veuve Maurice Martin, alias Martin Van Maele, dans la mort, puisqu'il était présent au moment de son décès à 6 heures du matin ce 23 juillet 1939. C'est lui qui, quelques heures plus tard, se rendra à la mairie pour déclarer le décès et signer l'acte. Avec sa sœur Germaine, ils seront ses héritiers.C'est la preuve d'une attention et d'une proximité entre les deux branches de la famille. Proximité dont Jean Genet, le cousin germain de Maurice Genet, n'a pas bénéficié. A cette même date, il mène une vie de vagabond entre petits larcins et séjours en prison.

Je me suis interrogé aussi sur un rejet de Camille par sa famille à partir du moment où elle s'est retrouvée enceinte du futur Jean Genet, à 21 ans, vers le mois de mars 1910 (elle est née en juillet 1888). Je ne le pense pas pour plusieurs raisons. La première est que cela serait apparu lors de ses demandes de secours, soit dans les lettres qu'elle a envoyées, soit dans les résultats des enquêtes qui ont été menées par l'Assistance publique. Dans ce dossier, il n'est jamais fait mention de famille. La deuxième raison est que je ne perçois pas la famille Genet comme particulièrement rigoureuse sur le respect de la morale familiale. Rappelons que Philibert Genet a eu son premier enfant hors mariage, en 1883, d'une femme qui avait elle-même accouché d'un enfant de père inconnu à l'âge de 20 ans. Marie Françoise Martin a épousé Martin Van Maele dont l’œuvre ne démontre pas un sens très strict de la morale. Ils s'étaient fait passer pour mari et femme avant même d'être mariés. Quant à Gabriel, si sa vie semble plus dans la « norme morale », il appartenait à un univers fortement déchristianisé. En effet, et ce sont des recherches que je n'ai pas encore publiées, il ne semble pas s'être marié à l'Église, ni avoir fait baptiser ses enfants. Pour sa femme Gabrielle Durozé, on ne sait pas précisément si elle avait été baptisée, mais ce que je sais c'est que sa sœur Jeanne Durozé n'a été baptisée que quelques mois avant son mariage en 1897, pour qu'elle puisse justement convoler à l’Église, probablement à la demande de sa belle-famille Gayet (pour l'anecdote, lors de ce baptême tardif, c'est son futur mari qui est son parrain).On peut me rétorquer que tout cela n'est pas une preuve, car on a déjà vu des personnes d'une morale assez souple se montrer beaucoup plus rigoureuses lorsque elles sont mises devant une situation comme celle de Camille. D'autant que le temps passant, Philibert Genet s'embourgeoisant, il pouvait faire preuve, au moins en apparence, d'une morale plus stricte.

En réalité, je pense que la rupture est plus ancienne. Je n'en suis qu'au stade des hypothèses, voire des intuitions, mais je pense que la rupture a eu lieu entre Clotilde Genet, la belle-mère et mère, et le reste de la famille dans la deuxième partie des années 1890. Il est frappant de voir qu'en 1898, Clotilde Genet vit dans une misérable pièce unique de la rue Rousselet (voir le message précédent) avec ses deux dernières filles, alors que le fils aîné est en pleine association sociale à Lyon (il vient de s'y installer en janvier 1898), que Marie Françoise Genet et son mari Maurice Martin vivent encore rue Jacob, dans un appartement dont le loyer annuel est de 600 francs, soit 4 à 6 fois plus que celui que doit payer Clotilde Genet. Au même moment, Clotilde Genet doit se dessaisir des deux dernières parcelles de son héritage à Virieu-le-Grand pour 100 francs !

A partir de cette rupture, Clotilde Genet et sa fille ont probablement mené une vie de misère et, si l'on en croit l'information qu'en donne le dossier de Jean Genet, une vie hors de Paris (en effet, Camille Genet ne semble être revenue à Paris que dans le courant de l'année 1910). Rappelons aussi que Camille Genet, enfant née tardivement, n'a qu'à peine connu ses frères et sœurs, surtout ceux du premier mariage.

Il reste un mystère à lever. Probablement que l'on n'aura jamais tous les éléments, enfouis dans le secret des familles, mais rien que le lieu et la date du décès de Clotilde Genet seraient déjà une information qui pourrait me mettre sur la piste. Pour le moment, ces informations ont résisté à toutes mes recherches.

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