La première nourrice de Jean Genet

Félicie Paris, épouse Roger
La première nourrice de Jean Genet

Jean-Marc Barféty
Octobre 2017
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Maison de Santeuil (Val d’Oise) où a vécu Jean Genet en 1911

Signature de Félicie Paris, en 1884

Immédiatement après sa naissance, Jean Genet est mis en nourrice dans un petit village de l'ancienne Seine-et-Oise, Santeuil, aujourd'hui dans le Val d'Oise. Le dossier de Jean Genet à l'Assistance publique de Paris nous permet de connaître le nom de cette nourrice : Félicie Roger, née Paris1. C'est en effet la difficulté de lui payer la pension mensuelle de 35 francs qui conduit Camille Genet à d'abord demander un secours à l'Assistance publique, puis à se résoudre à abandonner son fils.

C'est ainsi que Jean Genet passe quelques mois à Santeuil entre sa naissance en décembre 1910 et son retour à Paris le 27 juillet 1911. Il est ensuite placé en famille d'accueil dans le Morvan.

Il se trouve que cette même année 1911 est aussi l'année du recensement quinquennal. Le 24 mars 1911, l'adjoint au maire de Santeuil signe le bordereau de sa commune, dans lequel il décompte 131 habitants, répartis dans 45 ménages. Parmi eux, ces deux ménages dans une maison de la Grande Rue :

Recensement de Santeuil, 1911

Jean Genet, nourrisson, est une éphémère habitant de Santeuil, recensé dans le ménage d'Hilaire et Félicie Roger et leurs enfants. Qui étaient-ils ? D'où venait Félicie Roger ? Dans quelle maison précise habitaient-ils à Santeuil ? Ce sont ces quelques questions que cette étude souhaite traiter, sortant ainsi de l'obscurité celle qui a été la première présence féminine auprès du jeune Jean Genet.

La famille Paris

Élise Félicie Paris est née le 15 juillet 18632 dans le petit village de Gouzangrez, à quelques kilomètres de Santeuil. Elle est la fille d'un couple de journaliers, Antoine Ambroise Paris, habituellement prénommé Ferdinand, et Élisa Clotilde Mondion. Elle a une sœur, Irma Azélie, née le 4 mai 1866 et un frère, Alfred Edmond, né le 13 janvier 1873. Ferdinand Paris et Élisa Mondion sont tous deux issus de modestes familles de journaliers et bergers. Il se marient en 1858. Vers 1861, ils s'installent définitivement à Gouzangrez, rue du Grand-Hôtel. Il faut attendre le début des années 1870 pour que Ferdinand Paris soit qualifié de cultivateur. Il était auparavant qualifié soit de journalier, soit de charretier. Ce changement de dénomination montre une certaine progression dans l'échelle sociale. En 1896, la profession portée dans le recensement est : « propriétaire exploitant et fermier ». Pour connaître le monde dans lequel a évolué Félicie Paris, une des meilleures sources est la série des monographie communales rédigées en 1899 par les instituteurs3. Celle de Gouzangrez nous renseigne qu’à cette date, le village compte 134 habitants, sur un petit territoire de 76 hectares. On y apprend que « la propriété est peu morcelée. Elle est exploitée pour 400 hectares par M. Delacour, maire (ferme et dépendances de Gouzangrez) et pour 70 hectares par 4 petits cultivateurs. » L'exploitation de M. Delacour est tellement importante qu'elle est tout simplement appelée la Ferme. On y cultive des céréales et des betteraves pour alimenter une distillerie installée sur la commune. C'est d'ailleurs la seule industrie locale. Cette Ferme possède la très grande majorité des animaux d'élevage présents sur le territoire de la commune. On voit bien une structure sociale fortement inégalitaire, avec une famille qui domine tant économiquement que politiquement le village, laissant peu de place pour d'autres cultivateurs. Ferdinand Paris fait partie des 4 petits cultivateurs qui se partagent les 70 hectares. Dans le village, on trouve aussi 3 épiciers marchands de vins. Hormis quelques artisans, la majorité des ménages est composée de journaliers qui font partie des 50 ouvriers que la Ferme et la distillerie occupent « régulièrement ». Il faut y ajouter les « 25 ouvriers belges appelés exclusivement pour les moissons, les travaux de culture des betteraves. » L'instituteur conclut : « sans être riche, les habitants ne sont point indigents. Tous possèdent un petit coin de jardin et trouvent tous un travail assuré et continu à la ferme de Gouzangrez. […] Malgré cette situation, la commune de Gouzangrez va décroissant. Les jeunes gens ne s'y attachent point. Cela tient à ce que tous (excepté 2 familles), ils se trouvent dans l'obligation ou de quitter le pays, ou de travailler comme journaliers à la ferme. Il y a pour eux impossibilité complète de se constituer un fermage ou une propriété pour y exploiter la culture. Il y a quelques quinze ans, il y avait à Gouzangrez deux autres fermes d'une centaine d'hectares chacune. Elles ont été vendues et réunies à la ferme de M. Delacour. ». Il a donc fallu une certaine détermination à Ferdinand Paris pour réussir à se hisser au range enviable de propriétaire-exploitant, qui lui permet d'appartenir à la modeste « élite » du village. À ce titre, il est aussi un des membres du conseil municipal.

Ferdinand Paris est mort à Gouzangrez le 4 janvier 1919 à l'âge de 84 ans. Il est qualifié de rentier. Son épouse Élisa Mondion lui survit quelques semaines et décède chez sa fille à Cormeilles-en-Parisis le 20 février 19194. Ils vivaient toujours rue du Grand-Hôtel, faisant preuve d'une stabilité qui contrastera fortement avec la vie plus heurtée de leur fille Félicie. La relative aisance à laquelle sont parvenus Ferdinand Paris et Élisa Mondion ne profitera guère à leurs 3 enfants. À leurs décès, ils laissent un patrimoine composé d’une maison, avec des annexes, à Gouzangrez et de plusieurs parcelles de terres agricoles d’une superficie d’un peu plus de 2 hectares et demi. Celles-ci sont louées en fermage, ce qui explique que les époux Paris puissent être considérés comme rentiers. Leurs deux héritières, Félicie Paris et sa nièce Juliette Visbecq vendent rapidement la totalité des biens, ce qui leur permet de récupérer chacune une somme de 6 000 francs.

Avant de développer la vie de Félicie Paris, arrêtons-nous quelques instants sur le destin de sa sœur Irma et de son frère Alfred, les deux autres enfants du couple. Irma Paris se marie en 1889 avec Henri Visbecq, un journalier d'Oinville-sur-Montcient (Yvelines) à une quinzaine de kilomètres de Gouzangrez. Ils passeront toute leur vie à Oinville. Henri Visbecq deviendra le garde particulier, puis le chef de culture d'un riche propriétaire parisien, Charles Gustave Arnaud-Soumain, qui possédait un château, ou plutôt un manoir, sur la commune, à Dalibray. Irma décède à Oinville en avril 1907, laissant une fille, Juliette5.

Alfred Paris prend une autre voie. Il devient instituteur. C’était une des voies classiques pour ceux voulaient s'extraire de leur milieu. Il est d'abord nommé instituteur adjoint à Presles, dans le Val d'Oise, en 1893. Après une interruption d'un an pour effectuer son service militaire, il y retourne en 1895, puis il est nommé instituteur adjoint à l'Isle Adam le 30 septembre 1896. Il est malheureusement malade. En novembre 1897, réserviste, il est réformé pour « tuberculose pulmonaire ». En février 1898, il doit quitter son poste à l'Isle Adam. Il meurt le 12 mars 1898 chez ses parents à Gouzangrez. Il n'a que 25 ans6.

La famille Paris est issue de la classe innombrable des travailleurs agricoles, formant une sorte de prolétariat vivant dans ces villages dominés par la grande propriété. Ce qui la distingue est que le couple Ferdinand Paris et Élisa Mondion a réussi à se constituer un patrimoine suffisamment conséquent pour s’agréger à une autre classe, celle des petits propriétaires ruraux qui vivent en exploitant leurs biens ou en les louant en fermage. Consécration suprême, ils peuvent être qualifiés de rentiers. Malheureusement, cette situation est fragile. Cette position obtenue par les parents ne pourra pas être maintenue par leur fille Félicie, la faisant retourner à une situation sociale moins enviable.

Santeuil au début du XXe siècle.

Félicie Paris7

Félicie Paris se marie pour la première fois le 25 septembre 1884 avec Jean Baptiste Myrtile Fort, un mécanicien lorrain, né à Senon dans la Meuse en 1854. Elle a 21 ans et lui 28 ans. Myrtile Fort a vécu à Groslay, une commune de l’actuel Val d’Oise située à une quarantaine de kilomètres de Gouzangrez. Comment se sont-ils rencontrés ? Mystère. Cela pourrait nous donner un indice sur la personnalité de Félicie que l'on pressent un peu instable. Ils vivent d'abord à Crouy, dans l’Aisne (1884-1885), puis à Gisors, dans l’Eure (1886-1891), avant de revenir s’installer à Santeuil où ils sont recensés en 1896. Myrtile Fort devait déjà être malade, voire peut-être déjà être interné. Félicie Paris n'a que son fils aîné René, 9 ans, avec elle. Le cadet, Georges, âgé de 6 ans, habite avec ses grands-parents à Gouzangrez. Myrtile Fort décède le 29 janvier 1897 à l'asile interdépartemental d'aliénés de Clermont dans l'Oise. Il a 40 ans, laissant une veuve de 33 ans, avec deux garçons de 10 et 7 ans.

Félicie Paris se remarie rapidement, le 6 septembre 1900, avec Hilaire Roger, son cadet de 11 ans. Elle est ménagère. Il est domestique. Ils vivent alors tous les deux à Marines, le chef-lieu de canton de ce petit pays du Vexin français où Félicie a passé jusqu'alors la plus grande partie de sa vie. A 37 ans, Félicie Paris a déjà été quelque peu malmenée par la vie. Elle épouse un homme dont toute la vie passée montre une grande instabilité. A 26 ans, Hilaire Roger a déjà beaucoup bourlingué. Né à Etrépagny (Eure) dans une très modeste famille de journaliers et domestiques, on le retrouve ouvrier boulanger à Montesson (Yvelines) au moment du recrutement militaire (1894). Après un court service militaire de novembre 1895 à septembre 1896, on le suit, difficilement, à différentes adresses : Saint-Germain-en-Laye (mars 1897), Bougival, 27 quai Sganzin [quai Georges-Clemenceau] (septembre 1897), Ferme de Gagny, à Loconville (mars 1899) et enfin Marines où son arrivée est enregistrée le 5 avril 1900. Cinq mois plus tard, il se marie avec Félicie Paris. Le couple reste quelques années à Marines, où naît leur fille Raymonde en 1904. Hilaire Roger est régulièrement qualifié de journalier, parfois de charretier ou de bûcheron. En 1905, ils s'installent au Perchay, un village voisin de Gouzangrez et Santeuil, où il est charretier. Lorsqu'ils y sont recensés en 1906, ils hébergent deux nourrissons, les enfants Cottard, fils d'un horticulteur d'Argenteuil. Enfin, en 1907, ils viennent vivre à Santeuil, où naît leur fils Louis en 1908. C'est là qu'on les retrouve en 1911, avec leurs deux enfants et le nourrisson de Paris, Jean Genet. Lorsqu’elle accueille l'enfant Genet au tout début de l'année 1911, Félicie Roger a 47 ans. Elle fêtera ses 48 ans quelques jours avant de rendre l'enfant. Ces changements de domiciles dans un petit périmètre – tous ces villages sont voisins – ne signifient absolument pas une quelconque amélioration de la situation d'Hilaire Roger. Journalier il est, journalier il reste.

Grande Rue, Cormeilles-en-Parisis.
Le domicile de la famille Roger est la maison à gauche, qui abrite une boulangerie-pâtisserie.

Vers 1913, le couple Roger-Paris et leurs enfants s'installent à Cormeilles-en-Parisis, où Hilaire Roger est peut-être revenu à son premier métier de boulanger. Ils habitent 85 Grande Rue (aujourd’hui, rue Gabriel-Péri), dans une maison qui abrite une boulangerie-pâtisserie. Hilaire Roger est mobilisé au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il est affecté à la 22e S.C.O.A. (Section des Commis et Ouvriers d'Administration) comme boulanger. Il décède d'une gastro-entérite à l'hôpital temporaire d'Is-sur-Tille (Côte d'Or) le 16 décembre 1914, à l'âge de 40 ans. Son corps est inhumé dans le carré militaire du cimetière de Cormeilles-en-Parisis et son nom est porté sur les différents monuments commémoratifs de la commune (monument au morts, mairie, église). De nouveau veuve, avec 2 jeunes enfants de 10 et 7 ans, Félicie Roger reçoit un secours immédiat de 150 Fr. le 8 octobre 1915. Elle fait ensuite les différentes démarches pour obtenir une pension de veuve de guerre et des aides. Un premier dossier est déposé en mars 1917, puis un autre en octobre 1919. Elle ne semble pas avoir été très attentive à ces démarches administratives, car son dossier de pension aux archives de Cormeilles comporte cette mention : « Mme Vve Roger a été convoquée à plusieurs reprises n'est jamais venue ». Une lettre de septembre 1916 émanant de la mairie de Cormeilles décrit sa situation : « Madame Veuve Roger est bien veuve de guerre, elle travaille un peu, et touchant 2,25 d’allocation elle se trouve dans le même cas que la presque généralité des veuves de Militaires, qu’elle a deux enfants âgés de 12 et 10 ans, sollicite des secours partout où on est susceptible de lui donner quelque chose.
Toutefois, moralité, conduite, et honorabilité, ne laissent pas à désirer sous aucun rapport. »

Lettre de Félicie Roger (dossier Hilaire Roger – Archives municipales Cormeilles-en-Parisis)

Après la guerre, Félicie Roger reste à Cormeilles-en-Parisis, où on la trouve jusqu'en 1931 à la même adresse, au 85 Grande Rue [rue Gabriel Péri].

Ses deux enfants du premier mariage ne semblent pas avoir vécu avec elle après son remariage avec Hilaire Roger. L'aîné, René Fort, meurt jeune à l'hôpital Beaujon, à Paris, en novembre 1909. Il était boucher à Gennevilliers. Le cadet, Roger Fort, est fumiste. Après la guerre de 1914-1918, qu'il a fait entièrement, il s’installe à Meulan où il épouse une veuve de guerre. Il y a vécu jusqu'à son décès en 1948. Ses deux enfants du second mariage se marient tous les deux à Cormeilles-en-Parisis, Raymonde Roger en 1924 avec Léon Bigot, comptable, et Louis Roger, aussi fumiste comme son demi-frère, en 1931 avec Yvonne Dindaud. Ils sont respectivement décédés en 1980 à Ecquevilly et en 1969 à Mantes-la-Jolie. En l'état de nos recherches, nous ne savons pas s'il existe encore des descendants de Félicie Paris, épouse Roger.

Quant à Félicie Paris, malgré nos recherches, nous n’avons pas trouvé le lieu et la date de son décès. Recensée en 1931 avec son fils Louis à Cormeilles-en-Parisis, elle n’est plus présente dans cette commune lors du recensement de 1936 alors que ses deux enfants vivent encore dans la Grande Rue. Elle est probablement décédée entre ces deux dates, mais hors de Cormeilles-en-Parisis.

Jean Genet à Santeuil

Pour connaître Santeuil au moment où Jean Genet y a vécu, c'est encore la monographie de l'instituteur qui nous servira de guide dans cette description. Comme Gouzangrez, Santeuil est essentiellement un village agricole, dominé par quelques gros propriétaires, même si la prééminence d'une famille, comme on l'a constaté auparavant, n'est pas de mise ici. L'instituteur note cependant une concentration de la propriété, comme cela était à l’œuvre de façon encore plus marquée à Gouzangrez : « le territoire de la commune est très morcelé. La petite propriété s'y divise à l'infini tandis que la grande tend, au contraire, à s'arrondir de jour en jour. […] En 1899, le nombre de parcelles s'élève à 2.333, se répartissant entre 366 propriétaires. Parmi ces 366 propriétaires, 37 seulement habitent la commune et ne possèdent que 121 hectares. Tandis qu'un grand nombre de propriétaires ne possèdent que quelques ares, 2 possèdent à eux seuls 173 hectares, c'est à dire le tiers du territoire agricole. » La seule industrie est une usine de cartonnages qui utilise la force hydraulique fournie par la Voisne, un affluent de l'Oise qui traverse la commune, industrie qui semble avoir disparu en 1911. Sinon, on y trouve les habituels cabaretiers (ils sont 3), un épicier, des artisans (maçon, serrurier, charron, couturière). Ce qui donne un avantage à ce village est la présence d'une gare, située sur la ligne Paris-Dieppe. Cela permet à l'instituteur d'être optimiste sur l'avenir de la commune : « La commune de Santeuil, grâce à l'établissement de la station de chemin de fer qui la met à 25 minutes de Pontoise, son chef-lieu d'arrondissement, siège d'un des plus importants marchés de la région, et à une heure et demi de Paris, grâce aussi à son heureuse situation, ne peut que prospérer et devenir pendant la belle saison un lieu agréable de villégiature pour ceux qui veulent vivre loin du bruit des villes, se reposer à l'aise et respirer un air pur et vivifiant.
Depuis quelques années il a déjà été construit ou transformé d'une manière confortable une dizaine de maisons. »

Santeuil au début du XXe siècle.

L'autre source d’information sur la commune est évidemment le recensement de 1911. Comme nous l'avons déjà dit, le 24 mars 1911, l'adjoint au maire de Santeuil, signe le bordereau de sa commune, dans lequel il décompte 131 habitants, répartis dans 45 ménages et 42 maisons. Parmi les 45 ménages, seulement 4 sont tenus par des cultivateurs, dont l'un, Metzger, est suffisamment important pour être l'employeur de nombreux habitants. Ensuite, 16 ménages ont à leur tête des travailleurs agricoles (journaliers, ouvriers agricoles, commis de culture, charretiers, bouvier, berger, pâtres, etc.). Au total, si on ajoute les membres des ménages qui ont cette qualification, c'est un total de 27 personnes, soit 20 % des habitants du village, qui appartient à cette catégorie. Hilaire Roger, journalier, est donc directement en concurrence avec toutes ces personnes, se partageant le travail fourni par seulement quelques employeurs potentiels sur la commune. Cela explique aussi cette instabilité que l'on a constaté. Très dépendant des relations interpersonnelles, il suffisait probablement de peu de chose – un conflit, une mésentente, une erreur dans le travail, un désaccord sur la paie journalière, etc. – pour que la possibilité de travailler et donc de gagner sa vie soit réduite à néant. Il devenait alors nécessaire d'aller chercher le travail dans les villages voisins, ou les bourgs comme Cormeilles-en-Parisis. C'est dans ce ménage que Jean Genet s'est retrouvé nourrisson8. Les 35 francs de pension mensuelle étaient bien venus pour apporter un complément de ressource. Et l’on comprend qu'en n'étant pas payée pendant 4 mois, Félicie Roger n'ait pas voulu garder le nourrisson. Cela mettait sûrement en péril le difficile équilibre financier de la famille. Nous savons que le couple avait obtenu un prêt de 1000 francs des parents de Félicie, à une date indéterminée.

Où habitaient Hilaire Roger et Félice Paris à Santeuil ? Identifier leur domicile exact permettrait de connaître de la maison qui a abrité Jean Genet pendant ses premiers mois dans sa famille nourricière.

En juillet 1910, Hilaire Roger se met d’accord avec Albert Cresson, un instituteur de Piscop (Val d’Oise) pour louer le 1er étage d’une maison que celui-ci possède à Santeuil. Ce logement comporte 5 pièces. Le contrat de location inclut aussi la jouissance des deux cours, de la cave, d’une partie du hangar et du jardin, le tout pour une somme de 250 francs par an. Le bail est conclu pour 3, 6 ou 9 ans, mais ils n’iront pas au-delà des 3 premières années9. La famille Roger partageait cette maison avec un couple de vieillards, probablement logé au rez-de-chaussée, Michel Gerbe, un vieux monsieur de 86 ans, et son « amie » – c'est le terme utilisé par le recenseur – qui est presque aussi âgée que lui, Eugénie Chrétien, veuve Dournelle, 78 ans.

Cette maison se situait au début de la Grande Rue, à gauche10. Elle existe toujours, avec son premier étage qui a vu les premiers mois de Jean Genet. Seule la rue a changé de nom. La Grande Rue est devenue la rue de l’Église.

Vue actuelle de la maison Cresson, à Santeuil

 
Plan de Santeuil en 1899 (Monographie communale) avec la situation de la maison Cresson

Vue aérienne de Santeuil, avec la situation de la maison Cresson

Nous ne savons pas si Camille Genet est venue jusqu’à Santeuil pour voir son fils. Dans un courrier reçu le 28 mars 1911 par l’Assistance publique, elle écrit : « Il me reste en poche 3 f. et quelques sous. Je ne puis même pas aller voir mon bébé qui est à Santeuil chez Mme Roger Seine-et-Oise ». Si elle était venue depuis Saint-Lazare, elle serait arrivée par cette petite gare, dans un train pareil à celui de cette carte postale contemporaine :
 Après avoir vu son fils, elle serait repartie du village, se dirigeant vers la gare, par ce chemin :

Hasard des trouvailles, cette carte représentant le chemin de gare de Santeuil est signée « Camille », le prénom de la mère de Jean Genet. On se prend à rêver que nous avons trouvé une carte écrite par elle. Rien ne permet de le confirmer.

1 Sur les premières années de Jean Genet, l’ouvrage de référence est : Jean Genet, Matricule 192.102. Chroniques des années 1910-1944¸ par Albert Dichy et Pascal Fouché, Paris, 2010. Sur les premiers mois de sa vie et sa présence à Santeuil, voir plus particulièrement les pp. 23-28.
2 Tous les actes d’état civil sont tirés des registres des communes concernées. Pour la plupart, ils sont consultables sous forme numérisée sur les sites des Archives départementales du Val d’Oise ou des Archives de Paris. Pour ne pas alourdir inutilement les notes, je ne donne par les références précises. La date et le lieu sont suffisants pour trouver l’acte concerné.
3 Dans le cadre de l'exposition universelle de 1900, toutes les écoles primaires françaises ont été sollicitées pour participer à la préparation de l'exposition du Ministère de l'Instruction publique consacrée à l'enseignement primaire (Instruction ministérielle du 29 décembre 1898). Ces monographies ont été déposées aux Archives départementales du Val d'Oise où elles sont consultables sur le site Internet. Dans la suite du document, les Archives départementales du Val d’Oise seront abrégées en ADVO.
4 Les sources pour le patrimoine et la succession des époux Paris-Mondion sont :
  • Déclarations de successions n° 106 et 107 du 20 juillet 1920, bureau de Marines (ADVO : 3Q7 611).
  • Vente du 31 mai 1919, Me Jules Bour, notaire, Vigny (ADVO : minutes avril-mai 1919, 2E31/390).
  • Vente du 30 août 1919, Me Jules Bour, notaire, Vigny (ADVO : minutes août-septembre 1919, 2E31/392).
5 Sources : état civil d’Oinville et recensements d’Oinville (1891-1911).
6 Sources : fiche matricule, bureau de Versailles, classe 1893, n° 929 (site des Archives départementales des Yvelines) et monographies des communes de Presles et de l’Isle-Adam (site des ADVO).
7 Sources : état civil Gouzangrez, Marines, Santeuil et Cormeilles-en-Parisis, recensements Gisors (1891), Santeuil (1896), Marines (1901), Le Perchay (1906), Santeuil (1911), Cormeilles-en-Parisis (1921-1936), Meulan (1921-1936) et pour Hilaire Roger : fiche matricule, bureau de Versailles, classe 1894, n° 671 (site des Archives départementales des Yvelines), fiche sur le site SGA Mémoire des Hommes, Dossiers individuels de renseignements militaires (N-Y) (Archives municipales de Cormeilles-en-Parisis, 4H12).
8 Un autre ménage de Santeuil héberge des nourrissons en 19111 : un charretier qui travaille pour Metzger, sa femme et ses enfants, avec deux nourrissons, nés respectivement à Paris en 1909 et à Monneville (Oise) en 1911.
9 Registres des Baux 1890-1918 (ADVO : 3Q7 795), Santeuil, bail n° 302.
10 Santeuil, Matrice des propriétés bâties, 1882-1911 (ADVO : 3P 694). Albert Florentin Cresson, instituteur à Piscop (case 12) ne possède qu’une seule propriété bâtie à Santeuil : une maison de 15 fenêtres et 1 porte cochère, sur la parcelle A 200 (n° 388 dans le cadastre moderne). Cette maison lui vient de son père, Florentin Cresson, ancien maire de la commune. Elle a été habitée par sa mère jusqu’à son décès en janvier 1909.

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